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La voie du loup

27 Août 2017 , Rédigé par Patrick Fischmann Publié dans #Conte

La voie du loup

« Il y a en moi un loup intrépide qui déniche les perles rares, un voyageur qui plonge dans les abîmes et les galaxies. Il use de la chair vive des mots et du parfum des images pour me parler des mondes dont je ne me souviens plus et dont je ne connais pas la langue. Son rire déchire les fables de l’histoire officielle, il se fraye un chemin dans les ondoiements d’une source aimante qui sourit quand j’ôte la poussière de mes yeux. Ainsi, plongé dans le Grand Mystère, mon loup me poste des contes pour m’y infuser et m’y préparer à dire et transmettre. Que ceux-ci me traversent et me chevauchent, qu’ils recueillent en moi juste ce qui est utile pour éclairer et célébrer la vie. Que mes cheveux soient de l’herbe, que mon ventre soit colline et mes bras rivières. Je suis assis sur un caillou au milieu des planètes, je joue de la flûte, un arbre de vie sort de ma tête, et c’est cela conter. »

 

J’avais promis aux conteuses et aux conteurs que j’accompagne de mettre en mots cette prière sans chapelle, cette "absence d’intention" qui me paraît être l’approche amoureuse de ces magiciens-bavards que nous désirons être. Car si un conte nous a ému, baratté et retourné c’est pour que nous lui fassions suffisamment confiance pour offrir à notre tour son eau, et non pour induire ou manipuler notre prochain (fût-ce avec les meilleures intentions). La voie du barde consiste à désapprendre la manière du cavalier pour embrasser celle du cheval. Car savoir ce dont les autres ont besoin est un grand mystère. Le magicien-bavard n’a pas d’idée à ce sujet si ce n’est que tout le monde recherche à sa façon une forme d’amour désintéressé. Le conte est l’une d’entre elles, notre art consiste donc à nous offrir corps et âme au souffle, à l’imagination, aux perles rares que notre loup-conteur nous a confié et transmis. Il nous prie de donner tout ce qui sera utile au déploiement attentionné d’une métaphore libératrice : notre voix, notre émotion, nos silences et notre verve en ne choisissant pas nous-mêmes d’interférer dans le prodige de la parole. C’est en renonçant à se mettre soi-même en avant et en scène ou à tenter de maitriser une image d’artiste, qu’on permet aux auditeurs de venir cueillir ce dont ils ont besoin. L’arbre qui sort de nous est plein de fruits disponibles, mais cueille qui veut. Nous sommes au service d’un récit futé et bienveillant qui use de poésie et de fantaisie pour saboter ce qui fait ployer l’humain. Sa magie nous traverse et nous illumine. Et même notre égo peut y trouver à la fin son conte, joyeux d’avoir été affranchi par une vie qu’il a contribué à verser dans le lit bleu du monde.

 

Au moment de bascule que connait notre temps, face au paradoxe d’un égo érigé en maître et d’un être égaré par une matrice implacable, face à l’inconnu qui nous dit viens vis aime et déploie tes ailes, les jeunes conteurs doivent connaître la voie du loup.  

 

Patrick Fischmann -
 

Encre de Michel Mille réalisée pour le disque "L'homme qui était un arbre"

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